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Dès l’Egypte antique, les serviteurs des pharaons, tempèrent la chaleur et assurent le confort de leurs maîtres en agitant l’air à l’aide de grands éventails, les flabellums[i].
Vers 500 av. J.-C., ce sont les Indiens qui inventent les premiers ventilateurs de plafond, conçus à l’origine avec des ailes d’oiseau.
Il faut attendre 1882, et l’inventeur américain Philip Diehl pour disposer enfin de brasseurs d’air plafonniers électriques.
Après cette invention, très longtemps, la question d’économie d’énergie reste un sujet secondaire. Tant que l’on a un mouvement d’air et que l’on se sent mieux, peu importe la consommation électrique.
Petit à petit, les plafonds des locaux situés dans les zones tropicales et équatoriales se couvrent de brasseurs d’air. Mais les zones tempérées continuent longtemps de préférer la climatisation.

Les précurseurs de l’objectivation du confort d’été : Guide Woods et Givoni

Pourtant, les architectes et les ingénieurs s’intéressent très tôt à l’utilité des brasseurs d’air plafonniers, y compris en zone tempérée.

Dès 1952, deux auteurs anglo-saxons, W.C. Osborne et C.G. Turner publient un guide de référence, le « Woods Practical Guide to Fan Engineering » (Guide pratique de ventilation Woods[ii]) qui met en relation, avec une formule simple et opérationnelle, vitesse d’air et température ressentie.

Le diagramme ci-dessous est issu de ces travaux, et s’applique pour la période estivale à des conditions moyennes d’humidité et d’habillement :

Voici le résultat obtenu :

Vitesse de l’air (m/s) Refroidissement équivalent (°C)
0,00 0,0
0,15 0,5
0,30 1,0
0,50 1,5
0,70 2,0
0,85 2,5
1,00 3,0

Figure 1 – diagramme issu du Guide de Ventilation Woods

Il faut noter que la question de l’hygrométrie n’est pas forcément cruciale, à quelques exceptions près, dans les zones tempérées. En effet, sur ces bandes climatiques, le degré d’hygrométrie reste globalement relativement bas en saison estivale.

Néanmoins, c’est le fameux diagramme bioclimatique de l’architecte Baruch Givoni qui finit par obtenir dès le milieu des années 1970[iii] une certaine popularité auprès des concepteurs de bâtiments. Ce graphique montre que les zones de confort estival s’élargissent quand la vitesse d’air augmente.

Depuis le premier choc pétrolier, les économies d’énergie deviennent un sujet d’intérêt majeur. Le bioclimatisme sort de son isolement, il n’est plus uniquement réservé à des militants.

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Figure 2 : Diagramme bioclimatique du bâtiment : les zones V et V’ montrent l’impact bénéfique de la vitesse d’air (voir notes pour détails[iv])

Dans les années 2000, le bureau d’études Tribu créé une version très explicite du diagramme de Givoni, davantage centré sur la vitesse d’air. C’est un outil qui permet de faciliter un dialogue très constructif avec les maîtres d’ouvrage, et qui est d’ailleurs intégré dans certains logiciels de simulation thermique dynamique (STD).

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Figure 3 : le diagramme de Givoni revu par Tribu

La méthode PMV/PPD : nous ne sommes pas tous égaux face à la chaleur

Les approches précédentes ont le mérite d’être claires. Pour autant, il leur manque une dimension essentielle.

Nous ne réagissons pas tous de la même façon par rapport à la chaleur. Hommes, femmes, minces, forts, jeunes, âgés, nos caractéristiques personnelles, physiques, culturelles ou psychologiques jouent un rôle dans notre perception de la chaleur et de l’inconfort.

Tenant compte de cette réalité, une nouvelle approche apparaît dans les années 1970, basée sur des techniques de sondage : le modèle de Fanger ou PMV/PPD.

Cette démarche est élaborée à l’origine dans un but de performance au travail : si les salariés ont trop chaud, ils perdent en productivité.

Ce modèle n’a pas pour but d’obtenir 100% de satisfaits, mais de faire en sorte qu’il y ait le moins possible d’insatisfaits. Dès lors, il s’agit de viser un taux d’insatisfaction inférieur à 10%.

Deux valeurs sont mises en relation :

  • PMV (pour Predicted Mean Vote, ou Vote Moyen Prévisible), qui simule la valeur moyenne des votes d’un grand groupe de personnes [v] sur une échelle de sensation thermique en 7 niveaux qui vont de +3 (très chaud) à -3 (très froid). Cet indice s’appuie sur l’équation du bilan thermique humain. Il intègre notamment le métabolisme, la tenue vestimentaire, la température de l’air, le rayonnement thermique, la vitesse d’air…
  • PPD (Predicted Percentage of Dissatisfied, ou Pourcentage Prévisible d’Insatisfaits) prédit quantitativement le pourcentage de personnes insatisfaites, car trouvant l’ambiance thermique trop chaude ou trop froide et qui voteraient +3, +2, -2, -3…
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Figure 4 : exemple de diagramme PMV/PPD

La relation entre PMV et PPD prévoit un minimum de pourcentage de 5% d’insatisfaits pour un vote égal à 0 (sensation neutre). En effet, dans n’importe quelle configuration, il reste des insatisfaits.

Le niveau d’insatisfaction augmente naturellement si le PMV se déplace vers le froid ou vers le chaud.

Pour obtenir une situation de confort thermique global, il est recommandé que le pourcentage prévisible d’insatisfaits (PPD) reste inférieur à 10%, ce qui correspond à un vote moyen prévisible compris entre -0,5 et +0,5.

Dans la conception de bâtiments réels, on ne va pas procéder à un vote parmi le personnel ! C’est la norme ISO 7730[vi] qui comporte les variables qui vont permettre de déterminer les conditions de confort, et notamment : température, vitesse d’air, humidité relative, métabolisme (intensité de l’activité physique), type de vêtements… En introduisant ces valeurs, la norme permet le calcul des valeurs PMV et PPD.

Le ressenti est désormais quantifié.

La méthode adaptative : notre corps s’adapte à la chaleur

Au-delà de notre propre réaction à la chaleur, notre corps a une capacité d’adaptation. Une augmentation ou une baisse brutale de température est difficile à supporter pour le corps humain. En revanche, une élévation progressive de la température est mieux acceptée.

C’est ce constat qui donne naissance à la méthode adaptative, qui est également utilisée dans la plupart des normes reconnues au plan international. Elle prend en compte les variations des conditions climatiques sur 7 jours glissants.

La méthode adaptative se démarque donc par son côté de méthode dynamique, là où la méthode PMV/PPD est caractérisée par un approche statique.

C’est la méthode adaptative qui a été choisie pour la RE 2020. Le moteur RE2020 réalise en effet un calcul énergétique dynamique, qui permet la prise en compte de l’adaptation progressive du corps humain aux vagues de chaleur.

Quel outil utiliser aujourd’hui pour estimer le confort thermique ?

« La perfection est un chemin, non une fin », dit un proverbe coréen.

Sur ce chemin[vii], nous disposons d’un outil particulièrement ergonomique et pertinent : celui qui a été développé par le Centre pour l’Environnement Bâti de l’Université de Berkeley en Californie.

Cet outil est doublement avantageux : il permet de visualiser les zones de confort avec la norme la plus pertinente à ce jour, la norme américaine ASHRAE 55-2020 d’une part, et la norme en vigueur dans l’UE, la norme EN-16798.

Avec un nombre très raisonnable de paramètres d’entrée, on obtient une représentation très élaborée du confort d’été[viii].

Comment utiliser l’ASHRAE-55, la norme étatsunienne ?

En accédant au site de Berkeley, on accède directement à l’onglet ASHRAE-55. Il ne reste plus qu’à saisir les données d’entrée.

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Figure 5 : simulation de confort estival avec l’outil CBE – base ASHRAE-55 – méthode PMV

Passons maintenant en revue les paramètres pour l’ASHRAE-55[ix].

  • Méthode : deux approches sont possibles, la méthode PMV et la méthode adaptative. La méthode PMV est adaptée aux bâtiments climatisés[x] (avec utilisation complémentaire de brasseurs d’air). En effet, cette méthode statique fonctionne bien en atmosphère constante, dans laquelle les conditions de température et d’humidité restent stables. De son côté, la méthode adaptative, dynamique, permet de tenir compte de l’adaptation du corps à la température ; elle doit être privilégiée pour les locaux non climatisés.
  • Température de fonctionnement : dite également température opérative, elle propose une moyenne entre température de l’air et température des parois. A noter que des parois mal isolées peuvent rayonner de la chaleur (par exemple un mur exposé Ouest dans l’après-midi), et que cette chaleur peut générer de l’inconfort. Il faut aussi souligner que des brasseurs d’air à large zone d’influence vont avoir un effet bénéfique en équilibrant les températures de l’air et celles des parois. La valeur à saisir correspond à votre température-cible.
  • Vitesse de l’air : la valeur est à saisir en m/s. Vous pouvez utiliser soit une vitesse moyenne dans la pièce, soit une vitesse d’air moyenne qui sera atteinte dans la zone d’occupation.
  • Humidité relative : en été, on peut généralement la laisser à 50%
  • Taux métabolique : pour des situations d’occupation en logement ou dans des bureaux, la valeur de 1,0 semble généralement adaptée. A noter que les situations de métabolisme réduit (position allongée, sommeil) peuvent être calculées, mais sortent du cadre de la norme.
  • Niveau vestimentaire : aux USA, on trouve fréquemment des tenues estivales de type costume trois-pièces avec manches longues et une climatisation à 19°C. Mais en Europe, il est heureusement plus commun de s’habiller plus légèrement (0,36-0,57).
  • Mode de calcul : nous recommandons « Psychrométrique (température opérative) »
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Figure 6 : simulation de confort estival avec l’outil CBE – base ASHRAE-55 – méthode adaptative

Toujours pour l’ASHRAE-55, voici les éléments à prendre en compte en méthode adaptative, en rappelant que celle-ci est adaptée à des sites dénués de climatisation

  • Température de fonctionnement : choisir généralement la température opérative
  • Température extérieure moyenne dominante : sauf à avoir des systèmes type de type refroidissement adiabatique[xi], il semble logique de prendre les mêmes bases que la température de fonctionnement.

Vitesse de l’air. C’est le point faible de la méthode adaptative, qui est moins précise que la méthode PMV. 4 valeurs sont possibles en m/s : 0,3 ; 0,6 ; 0 ,9 et 1,2. A noter qu’il est assez rare de pouvoir obtenir une vitesse moyenne de 1,2 m/s sur l’ensemble du corps avec un ventilateur de plafond.

Comment utiliser la norme européenne EN-16 798 ?

Toujours sur le même site, il suffit de changer d’onglet.

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Figure 7 : simulation de confort estival avec l’outil CBE – base EN 16798 – méthode PMV

Les paramètres à saisir sont exactement les mêmes que pour l’ASHRAE-55, en méthode PMV. Il suffit juste de cocher la case : « utiliser la température opérative ».

Graphiquement, alors que l’on a une large zone bleue avec l’ASHRAE-55, l’application de la norme européenne se traduit par plusieurs bandes vertes parallèles, la bande de couleur vert forêt étant la zone de confort optimal. Il faut tout de même noter que sur les températures élevées (≥ 30°C), il est nécessaire d’opter pour des tenues d’été légères avant de chercher à augmenter la vitesse d’air.

Comme on le remarque sur le graphique ci-dessus, il est en effet beaucoup plus facile de sortir du cadre de la norme EN 16798 que de celui de l’ASHRAE-55.

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Figure 8 : simulation de confort estival avec l’outil CBE – base EN 16798 – méthode Adaptative

Enfin, en méthode adaptative suivant la norme EN 16798, voici les éléments à prendre en compte, en rappelant que celle-ci est adaptée à des sites dénués de climatisation

  • Température de fonctionnement : utiliser généralement la température opérative
  • Température extérieure moyenne dominante : sauf à avoir des systèmes type de type refroidissement adiabatique, il semble logique de prendre les mêmes bases que la température de fonctionnement.
  • Vitesse de l’air. La palette de choix est encore plus pauvre que pour l’ASHRAE-55, car on n’a pas la valeur 0,3 m/s, mais juste une valeur « inférieure à 0,6 m/s ». On retrouve ensuite les mêmes pas de 0,3 m/s, dont celui qui correspond à 1,2 m/s et qui nous semble difficile à obtenir sur le terrain en moyenne sur l’ensemble du corps…

Quantifier le ressenti, pour quoi faire ?

Une telle quantification est bien possible depuis le milieu du siècle dernier, même si aujourd’hui, elle progresse.

Il faut saluer la qualité de l’interface développée par l’Université de Berkeley, qui permet un usage assez confortable d’un outil basé sur les connaissances physiologiques et psychologiques les plus récentes[xii].

Avec ces éléments, les concepteurs disposent d’une brique essentielle pour améliorer le bon dimensionnement des brasseurs d’air plafonniers, et mieux satisfaire les occupants des locaux qui en bénéficient.

[i] Les flabellums deviennent progressivement un pur symbole de manifestation du pouvoir. La fraîcheur est ainsi associée à la puissance !
[ii] Le titre français est plus large que le titre anglais, ce dernier laissant à penser qu’il ne s’agit de parler que de l’ingénierie des ventilateurs. Dans la réalité, le guide traite plus globalement de ventilation. L’éditeur du livre est une société de fabrication de moteurs et d’hélices, appelée aujourd’hui Woods Air Movement.
[iii] Pour une histoire plus détaillée de la construction bioclimatique, consultez la thèse de Clément Gaillard, « Moduler le climat : genèse, développement et significations de la conception bioclimatique en architecture (1947-1986) »
[iv] Le diagramme de Givoni ou « climogramme », montre les limites de la zone du confort thermique (rose), de la zone d’influence de la ventilation à 0,5m/s (VV’ orangé), de l’inertie thermique (MM’ vert), de la zone d’influence du refroidissement évaporatif (EC et EC’ gris), et de la zone de non-chauffage par la conception solaire passive (H et H’ jaune). Ces éléments proviennent de la publication «  le diagramme bioclimatique du bâtiment » de Jean-Louis IZARD et d’Olivier KACALA disponible sur l’EnviroBOITE.
[v] L’étalonnage s’est fait à partir d’études expérimentales sur près de 1300 sujets dans des chambres climatiques.
[vi] Norme ISO 7730 :2005 « Ergonomie des ambiances thermiques – Détermination analytique et interprétation du confort thermique par le calcul des indices PMV et PPD et par des critères de confort thermique local ».
[vii] Pour ceux qui veulent avoir un historique de haute qualité sur la question du confort d’été dans la bâtiment, nous vous recommandons le guide de l’ICEB et de l’ARENE Ile de France sur le confort d’été passif.
[viii] On peut utiliser cet outil avec des navigateurs assurant la traduction en français comme Chrome, ce qui offre une interface agréable à utiliser.
[ix] Le menu déroulant « contrôle local » n’a pour l’instant pas d’impact dans le calcul.
[x] Pour plus de détails, se référer à l’article sur le confort thermique d’EnergiePlus
[xi] Egalement appelé refroidissement par évaporation, le refroidissement adiabatique est basé sur le principe qu’un air chaud et sec que l’on va venir humidifier va voir sa température baisser. Pour s’évaporer, l’eau va absorber de l’énergie et donc de la chaleur.
[xii] Motif de satisfaction : au niveau national, le programme BRASSE, financé par l’ADEME, verra son rapport final publié courant 2023. Il permettra de mieux cadrer la vitesse d’air des brasseurs d’air plafonniers. Il associe 6 entités principales, Surya consultants, le Laboratoire Piment de l’Université de La Réunion, EnvirobatBDM, le laboratoire Eiffel, le LASA (acoustique) et l’ISEA (sciences sociales).

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